Débat sur l'identité nationale: discours de George Pau-Langevin à l'Assemblée Nationale

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Une séance a été consacrée au débat sur l'identité nationale ce mardi 8 décembre à l'Assemblée. C'était l'occasion pour nous de décrire notre France, la France qu'on aime : diverse, métissée, accueillante, solidaire. 

Voici le texte du discours prononcé à cette occasion  par George Pau-Langevin:

Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin.

Mme Pau-Langevin : Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier mes collègues du groupe socialiste : alors que, sur la question de la nation, nous avons tous bien des choses à dire, ils ont tenu symboliquement à ce que les porte-parole du groupe soient Marietta Karamanli, Serge Letchimy et moi-même, c’est-à-dire des Français un peu particuliers.

Nous nous demandons ce que vous cherchez avec ce débat. Cherchez-vous à dire que certains Français sont plus respectables que d’autres ? Voulez-vous dire aux étrangers qui viennent travailler dans notre pays qu’ils doivent renoncer à leur propre identité, à leur histoire personnelle ?

Permettez-moi d’évoquer ma propre histoire : je suis née en Guadeloupe, j’ai des ancêtres qui sont venus d’Afrique, j’avais une grand-mère indienne, je suis mariée à un Parisien et mon petit-fils nouveau-né est à moitié kabyle. J’ai l’impression que nous sommes une famille française comme beaucoup d’autres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.) Ce débat n’est pas digne de la réalité que vivent aujourd’hui tous les Français. (Même mouvement.)

Si l’on peut avoir l’impression que l’identité est remise en cause, c’est parfois par vos services, monsieur le ministre. Je pense à cette famille qui est venue me voir, l’autre jour, et qui est en plein désarroi. Ils se sont vu réclamer avec insistance des preuves de leur nationalité française, alors qu’ils vivent dans ce pays depuis toujours et y ont toujours eu des papiers d’identité. Leurs parents sont venus de Pologne après maintes persécutions et ont été naturalisés français. Aujourd’hui, on veut remettre en cause leur nationalité française, cette identité qui, pour eux, ne faisait aucun doute : c’est leur infliger une blessure insupportable.

En fait, les Français ne doutent pas de leur identité. Attachés aux valeurs de la Révolution de 1789, et particulièrement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ils savent qu’elle s’adresse aussi aux non-nationaux.

Cette conception n’a jamais été remise en cause, mais au contraire réaffirmée par Renan, même si nous n’éprouvons pas une admiration sans borne pour cet auteur.

Être français, ce n’est pas une question de race ni de religion : c’est la volonté de vivre ensemble.

Dans son discours de Latran, le 20 décembre 2007, le Président de la République affirmait que les racines chrétiennes faisaient la valeur de la spiritualité de notre nation. « Arracher la racine, disait-il, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale. » Pour nous, la racine, c’est l’éducation, et je ne comprends pas que ce pays, qui a su apprendre à des milliers d’enfants à travers le monde, avec leurs cheveux crépus ou leurs cheveux frisés, ce poème de Joachim du Bellay : « France, mère des arts, des armes et des lois », ne soit plus capable de l’enseigner aux enfants des banlieues.

C’est quand on réduit l’enseignement de l’histoire, comme il en est aujourd’hui question, qu’on arrache la racine. Enseigner l’histoire, c’est effectivement enseigner l’histoire de France, avec ses pages glorieuses, mais aussi avec ses pages sombres.

Il faut parler de l’esclavage, de la colonisation, de la collaboration, des guerres parfois sanglantes de la décolonisation.

Tout cela fait partie de notre histoire, tout cela révèle parfois l’intolérance, l’avidité excessive et l’exploitation de l’homme par l’homme, qui vont à l’encontre de l’idéal de la nation. En intégrant au récit national ces faits et ces éclairages qui, jusqu’alors, étaient sous-estimés ou passés sous silence, on permet le partage d’une mémoire, ce qui est très important pour des gens qui ont souvent eu l’impression de ne pas être intégrés à la mémoire et au récit nationaux.

Il ne s’agit pas de repentance : en chacune de ces heures sombres de l’histoire, il s’est toujours trouvé des Français pour défendre les idéaux de la France éternelle. Je pense, par exemple, à propos de l’esclavage, à Condorcet, à Mirabeau, à l’abbé Grégoire et à Schoelcher qui, toute leur vie, ont lutté pour la dignité de la personne humaine, pour l’égalité et pour la fraternité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Sitôt aboli l’esclavage, en 1794, les révolutionnaires ont accordé la citoyenneté française aux hommes de l’outre-mer, sans distinction de couleur. Siègent, depuis lors, dans cet hémicycle, des représentants de la nation de toutes les couleurs. Je pense qu’ils seront encore plus nombreux demain, car il n’y a aucune raison que ce roman national, cette habitude française ne se perpétuent pas avec ceux qui sont devenus français ultérieurement.

Nous allons, je le crois, aller de l’avant. Nous allons faire en sorte que toutes les composantes de la population, issue d’une immigration qui l’a façonnée et qui fut, tout au long des XIXe et XXe siècles, italienne, slave, portugaise, maghrébine, africaine ou asiatique, soient parfaitement représentées. Nous savons que l’immigration procure des ressources à notre pays : elle lui fournit talent, force et jeunesse. Nous savons aussi – nous l’avons entendu tout à l’heure – qu’elle est parfois source de crispations et de populisme ; notre nation, diverse, peine parfois à accepter son altérité.

Nous avons lu ces fameuses contributions sur le site du ministère. Les énoncés du type « ils sont dix millions payés à ne rien foutre » nous ont rappelé d’autres moments de l’histoire et d’autres libelles haineux qui parlaient, à propos de l’immigration, de « l’immense flot de la crasse napolitaine […], des « tristes puanteurs slaves », de « l’affreuse misère andalouse », […] du « bitume de Judée... »

« Doctrinaires crépus, polaks mités, gratin des ghettos, contrebandiers d’armes, pistoleros en détresse, espions usuriers, gangsters, marchands de femmes et de cocaïne, ils accourent précédés de leur odeur, escortés de leurs punaises... »

Il faut le savoir, des propos de ce type ont été tenus, mais, au même moment ou un peu plus tard, d’autres, que l’on a déjà longuement cités, comme Braudel, ont affirmé que la France était diversité : diversité des paysages, diversité des hommes, diversité des couleurs. Ainsi Braudel écrivait-il : « Tant d’“immigrés”, depuis si longtemps, depuis notre préhistoire jusqu’à l’histoire très récente, ont réussi à faire naufrage sans trop de bruit dans la masse française que l’on pourrait dire, en s’amusant, que tous les Français, si le regard se reporte aux siècles […] qui ont précédé notre temps, sont fils d’immigrés. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

La querelle que vous lancez aujourd’hui, à propos des bons et des moins bons Français, ne tient donc pas compte de cette vérité énoncée par Dominique Schnapper : « la société moderne n’est pas formée de groupes juxtaposés aux frontières claires […]. Les sociétés modernes sont fondées sur la mobilité des hommes, la pluralité de leurs fidélités et de leurs abandons, de leurs identités […]. »

Cette pluralité fait la force de notre nation. C’est elle qui lui a permis, hier, de construire un État, et c’est elle qui lui offre, aujourd’hui, la possibilité de construire des passerelles entre la France et le monde entier. Nous n’avons pas intérêt à enfermer qui que ce soit dans une identité réductrice, car c’est la force de la France que nous affaiblirions ainsi.

Il existe encore aujourd’hui un décalage entre l’idéal républicain et universaliste auquel nous adhérons et la situation difficile dont souffre une partie de la population nationale, notamment celle issue des départements d’outre-mer et de l’immigration, particulièrement celle concentrée en périphérie des zones urbaines.

J’ai souffert, tout à l’heure, en entendant comment certains d’entre vous parlaient des habitants qu’ils représentent. Je songe notamment à ceux qui évoquaient la Seine-Saint-Denis.

Comment voulez-vous que les gens dont on parle ainsi puissent se sentir respectés par leur pays ? Ou quand on leur dit : « La France, on l’aime ou on la quitte » ? Croyez-vous que les gens aient l’impression, en entendant certains discours, que leur pays les aime ? Quand satisfaire des désirs aussi simples que celui de trouver un travail ou un logement tient du parcours du combattant, quand on est régulièrement victime de contrôles au faciès, quand on entend un discours méprisant fondé sur les idées de délinquance et de dangerosité, on ne peut pas se croire aimé de son pays.

Je voudrais vous rappeler les propos de Tidjane Thiam, ce Français patron de Prudential, premier groupe d’assurances du Royaume-Uni. Diplômé de Polytechnique et des Mines, il déclarait : « Je suis reconnaissant à la France qui m’a permis d’effectuer un parcours scolaire remarquable et d’avoir aujourd’hui une carrière de premier plan. » Mais comme, fatigué de se heurter au plafond de verre, il avait quitté la France pour Londres, il évoquait aussi, toutefois, sa frustration de voir que l’Angleterre avait su lui donner ce que son pays n’avait pas pu ou voulu lui donner : l’indifférence à la couleur de sa peau.

Dès lors, ce n’est pas le repli vers des identités particulières, et parfois exclusives, qui fait échec à la République : c’est l’incapacité, souvent orchestrée, ces dernières années, par la droite, de la République à assumer sa vocation d’intégration, à assurer l’égalité des chances entre tous ses enfants qui ouvre la brèche par laquelle peuvent s’infiltrer l’amertume et l’intégrisme.

C’est aujourd’hui en luttant contre les discriminations, dont vous avez parlé, que l’on pourra faire en sorte que chaque enfant des banlieues se sente particulièrement français. Notre pays a énoncé une utopie fascinante, un rêve de liberté et d’égalité. La question n’est pas de changer notre conception de l’identité ou de changer l’identité des habitants de ce pays, elle est de faire en sorte que les promesses d’égalité et de fraternité contenues dans notre pacte républicain soient tenues. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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